Parfois elle n’était pas loin de me hurler dessus. Sa logorrhée durait des heures, sans possibilité pour moi de l’aider – donc de m’aider à nous en extraire. Elle refusait énergiquement tout retour à la réalité. Je me suis rappelé de mon diagnostic très prématuré et j’ai dû admettre que mes intuitions analytiques n’étaient guère erronées : je me trompe toujours sur les personnalités, très peu sur les structures et les schèmes.
Et lorsque j’étais face à des profils extrêmement intelligents, fourbes, prévoyants, les masques finissaient par tomber, laissant dans une nudité complète le tableau que Dieu m’avait fait voir au seuil de la porte, aux prémices de l’expérience. Ces inspirations-intuitions sont nécessairement liées au champs transcendental mais lequel ?
Elles se présentent sous forme d’une série d’informations, une sorte de codage, que je suis seule à connaître mais qui existent absolument en dehors de ma subjectivité, en deçà de notre réalité. Flottantes, comme suspendues dans les airs, ces images et ces phrases sont pourtant d’une surprenante précision, en dépit de leur complexité; ramifications; branches; sous branchements; illustrations; souvenirs livresques; mémoires empiriques, eidétique, photographique; expériences en tout genre et archétypes. C’est une vision fulgurante, fractale. Ça se passe au niveau du front, des yeux, autour des oreilles. Une toile de signifiants comportant un nombre indéfini de couches reliés à la probabilité d’un réseau de signifiés, une combinaison lourde mais dynamique, un palimpseste composé de mes lectures mais également du silence plein et des espaces.
Ces schémas heuristiques ont été à l’origine des décisions les plus importantes, les plus radicales en ce qu’elles impliquaient des changements brusques dans le parcours (forcée que j’étais de transiter — sans relâche — de la multiplicité à l’unité). Mais elles m’accompagnent au quotidien notamment dans le cadre du travail : c’est cette vision naturelle, ce codage mental, ce panorama musical empli de « hiéroglyphes », de notes, de grammaires pluridisciplinaires, d’une somme de concepts et de chiffres que je dois synthétiser pour les mettre à disposition de mes clients, élèves, patient, passants. Lorsque je fais l’effort de le taire, il fait chair : je l’incarne. Et seulement alors je peux donner sans limite autre que ma finitude.