« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme.

Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l’école. Elle était Dolorès sur les pointillés.

Vous pouvez me couvrir d’injures, menacer de faire évacuer la salle – tant que je ne serai pas étranglé par vos baillons, je crierai ma pauvre vérité. L’univers saura combien j’aimais Lolita, cette Lolita, blême et polluée, et grosse de l’enfant d’un autre, mais toujours la même avec les mêmes yeux gris, les mêmes cils fuligineux, les mêmes harmonies châtain et amande amère – oui, la même carmencita, mienne, mienne à jamais !

Changeons de vie, Carmen, allons vivre quelque part où nous ne serons jamais séparés ; l’Ohio ? Les déserts du Massachusetts ?… Peu me chaut que ses yeux s’éteignent en une myopie de poisson, qu’enflent et se craquellent les aréoles de ses seins, que se déchire et s’étiole son adorable delta, si jeune et délicat et velouté – même alors, je défaillirais de tendresse à la seule vue de ton visage aimé et pâle, au seul chant de ta jeune voix rauque, oh, ma Lolita ! »

Vladimir Nabokov. Lolita, Paris, Gallimard, 1977, p. 96.