« Le séjour dans le désert intérieur permet – au nouvel ermite – de rompre, d’une façon définitive, avec toute une tradition – faussement chrétienne – qui lui a enseigné une certaine horreur de la création, une peur de vivre en toute plénitude. C’est par cette ouverture à la beauté, même si elle est éphémère, que l’univers va se transfigurer devant ses yeux éblouis. Cette attitude positive déploie inexorablement l’intelligence et l’appétit intérieur qu’une vision auparavant dépréciative ne pouvait qu’entamer. L’ennui, l’abêtissement que répandait autour de lui une certaine catégorie de bien-pensants et aussi de dévots, s’estompe, disparaît. Il n’a pas à les fuir; il ne les rencontre plus sur sa route.
(…) Cette qualité du silence est sans doute plus orientale qu’occidentale. On la retrouve par exemple avec Ramana Maharshi. Elle est fréquente chez les sages de l’Inde.
Ce silence s’apparente aussi à une pudeur. Le “secret du roi” n’a pas à être formulé, il “transpire”, il n’est pas forcément présent dans le dire. Cependant, il importe de le répéter : le silence peut aussi camoufler un bavardage intérieur, dans ce cas il est hypocrite et il convient de s’en garder. D’où la variété des silences, la profondeur ou la superficialité de leur contenu.
Souvent, dans les Sentences des Pères du desert, nous retrouvons l’expression Thelô sôthenai (je veux être sauvé) ce qui signifie : je veux arriver à la libération. Salut et libération ne se distinguent pas. Lorsqu’un visiteur dit a un ancien :“comment devenir moine ?” Cela signifie “comment devenir un ?”. C’est l’unité que recherchent les hommes du désert, rien d’autre que l’unité. Ce qui est multiple, éparpillé, est sujet à la corruption, seule l’unité échappe au temps et s’insère dans l’éternité. Cette unité devient la porte donnant accès à la communication. L’unité ne peut se produire que par la dimension divine, c’est en elle qu’elle s’accomplit. C’est pourquoi les Pères du Désert aimaient à répéter pour eux-mêmes et pour autrui : jette-toi en Dieu. Jette en Dieu ton souci, ta peine, ta lassitude.
Tout passe par Dieu. Ce qui signifie que le feu de Dieu consume les erreurs, purifie, blanchit en quelque sorte, efface les plis de l’âme ».
Marie-Madeleine Davy. Le désert intérieur, Paris, Albin Michel, 1985, p. 87, 117, 118.