Samedi matin, j’étais invitée chez des amis. En arrivant, j’ai salué. Personne n’a répondu. Personne ne m’a regardée. D’une voix plus ferme, j’ai redit bonjour.
J’étais un peu triste. Au retour. En montant dans le taxi, j’ai fini par dire au chauffeur, un Noir prénommé Abdourrahman (ça veut dire « serviteur du Miséricordieux ») : puis-je vous demander conseil ? J’ai besoin d’un conseil.
– Heu… posez-moi votre question.
– J’ai un groupe d’amis qui fait mine de m’ignorer et j’ai envie de les frapper.
– Chez nous, on se dit bonjour même dans la rue, quand on ne se connaît pas. Je viens d’un pays où on est comme ça.
– Vous êtes guinéen ? (la radio laissait courir une émission avec un intervenant africain au français articulé, rassérénant).
– Oui, je suis guinéen. Et entre nous c’est habituel de dire ‘Assalâmou‘aleykum’.
– Remarquable.
– Non, c’est normal, rien d’extraordinaire. Chez nous c’est banal, c’est culturel.
– Mais pourquoi mes amis ne répondent pas ? Pourtant ils m’ont entendu, c’est pas des sourds bon sang !
– Ils n’ont peut-être pas prêté attention. Il faut leur trouver des excuses, ils avaient peut-être la tête ailleurs, vous savez…
– Mais moi ça me blesse, Abdourrahman, après je rentre chez moi et comme une sotte je pleure.
– Il ne faut pas, pourquoi vous accordez de l’importance à ces détails ? Vous avez accompli votre devoir, vous, laissez les autres faire ce qu’ils veulent, ça ne vous regarde pas.
– Mais ça me blesse Abdourrahman ! Ça me fait mal à l’ego.
– Mais, attendez, pourquoi ça vous blesse autant ? Faut plutôt vous interroger : pourquoi ça vous déçoit à ce point ? Le vrai problème c’est vous Madame. Faut pas vous mettre dans cet état pour si peu. Moi parfois j’ai aussi un chagrin mais ça passe, on ne peut pas plaire à tout le monde, et puis on ne doit pas chercher à changer les autres.
– Je suis d’accord. Mais pourquoi ils se comportent ainsi ? On est censé être exemplaire.
– Je ne sais pas, je n’en sais rien et ça n’a pas d’importance, ce qui compte c’est vous.
– Mais eux aussi comptent ! Ils comptent énormément. Ils me sont précieux. Je n’aime pas les prendre la main dans le sac, je n’aime pas ressentir de la honte pour eux, je n’aime pas les mépriser pour leur bassesse, pour cette nullité du non-bonjour et de cette fausse ignorance. Je le vois bien quand on feint de m’ignorer, faut pas me prendre pour une conne.
– Oui, oui, mais ça on s’en fout ! Ils ont leurs défauts comme tout le monde, c’est naturel, et franchement y a pire qu’un non-bonjour.
– Ouai c’est vrai, y a carrément pire, Abdourrahman. J’avoue cependant admirer cette « solidarité » du moins cette fraternité entre compatriotes de la même origine, de la même religion etc.
– C’est chouette, en effet.
– Je vous souhaite un excellent Aïd, que vos efforts soient agréés par le bon Dieu.
– Ah, merci Madame c’est gentil.
– Je vous souhaite le meilleur, Monsieur, dans les deux mondes. Que la paix, la bénédiction et la miséricorde descendent sur vous et les vôtres.
– Amîn, merci, à vous de même.
La voiture s’arrête enfin; au beau milieu de la route je descend du véhicule.
– Allez, au revoir Abdou ! Je vais faire attention de ne pas me faire écraser, je n’ai plus envie de mourir tout de suite, au revoir !