« Il y faut du temps et de l’habitude. On
 ne peut guère se connaître les uns les autres, avant que d’avoir consommé ensemble, comme dit le proverbe, plus d’un boisseau de sel. Avant que de s’adopter l’un l’autre, avant de se lier. D’une amitié mutuelle, il faut que chacun se soit d’abord assuré des qualités aimables qui se trouvent chez l’autre, et qu’il ait pu y placer confiance.

Le désir de l’amitié vient assez promptement, mais pas l’amitié en tant que telle…

La plupart des hommes, par un sentiment d’ambition, semblent désirer qu’on les aime plutôt qu’ils ne veulent aimer les autres. Aussi accueille-t-on généralement les flatteurs; car un flatteur représente un espèce d’ami subalterne, ou du moins il affecte l’infériorité; il semble se contenter d’aimer avec admiration plutôt qu’aspirer à être aimé : or, l’amitié qu’on inspire ressemble assez à l’estime et à la considération, sentiments dont la plupart des hommes sont avides. Au reste, ce n’est qu’à cause des accessoires, et par occasion, que l’on paraît ambitionner la considération : car les  gens aiment à être considérés socialement par ceux qui sont élevés en dignité, dans l’espoir qu’ils en obtiendront, au besoin, faveur et protection. C’est donc parce qu’elles sont les signes de cette faveur que l’on est communément flatté des marques d’honneur obtenues.

Les sincères n’ont aucun besoin de recourir à des actions viles ou méprisables; et non seulement ils ne se prêtent à rien de tel, mais ils empêchent, en quelque sorte, que leurs amis ne s’y laissent entraîner. Car le propre des hommes vertueux est de ne commettre eux-mêmes aucune faute grave, et de ne pas souffrir que leurs amis en commettent de telles.

Par analogie, la déviation ou dégénération de la royauté est la tyrannie. 
En effet, il n’y a de véritable roi que celui qui sait se suffire à lui-même, et qui surpasse les autres hommes en tout genre de biens et d’avantages.

Or, un tel être n’a justement besoin de rien de plus, et, par conséquent, il ne saurait être trop occupé de ce qui lui serait utile; il ne s’intéressera qu’au bien de ceux sur qui il a autorité.

Il peut toujours y avoir entre les amis tantôt égalité tantôt supériorité relative : car ou les amis sont égaux en vertu, ou l’un est plus moral que l’autre.

Il en est de même des qualités agréables; et, en fait d’utilité, ils peuvent ou se procurer des avantages symétriques, ou l’emporter l’un sur l’autre. Il faut donc, lorsqu’il y a égalité, qu’elle se manifeste dans l’attachement réciproque et à travers toutes les autres circonstances; et, entre personnes inégales il faut que l’inférieur trouve quelque compensation proportionnée à la supériorité de l’autre.

La seule amitié qui dure, je le répète, c’est celle qui, ne tirant que d’elle-même, subsiste par la conformité des caractères de chacun et de la vertu. »

Aristote. Éthique à Nicomaque, [trad. Gomez-Muller] Paris, LGF, 1992, p. 317-392.

Autre traduction, lignes sus-mentionnées, cf. chapitres VIII et IX :

http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/morale8.htmremacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/morale8.htm

 

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