- Dr Machin : Parlez-moi de vos songes.
- La patiente : J’ai des visions en dehors du sommeil.
- Dr Machin : Oui, votre complexe messianique est une problématique à part entière.
- La patiente : Il y a un thème que j’ai tu.
- Dr Machin : Décrivez-moi vos symptômes avec la précision d’une romancière.
- La patiente : Et bien docteur, je vois des animaux. Je veux dire… des humains avec des têtes d’animaux.
- Dr Machin : Avez-vous arrêté votre traitement ?
- La patiente : Je n’ai pas arrêté de parler, veuillez ne pas me couper…
- Dr Machin : Je sais déjà ce que vous déballez, épargnez-moi vos lectures en tous genre, elles sont continuellement teintées pour ne pas dire entachées de mysticisme.
- La patiente : Je vois la tête des gens en homologie avec des têtes d’animaux : en gros, dans la rue, dans le métro, tel homme est un bœuf, telle femme est un aigle, tel autre un cochon, telle autre encore une souris.
- Dr Machin : Bon, il faut cesser de lire Maïmonide, vous me fatiguez.
- La patiente : Je vous dis que ce n’est pas lié, punaise, fi de votre anamnèse. Le phénomène se produisait bien avant le troisième chapitre [Le guide des perplexes — une spéculation avec les mutaqallimûn].
- Dr Machin : Vous avez une imagination fertile, d’où vos logorrhées et une intarissable fascination pour l’art.
- La patiente : Vous m’accordez 30 minutes par semaine, pour m’interrompre et fournir votre avis arbitraire pour parler de diarrhée ?
- Dr Machin : Des gueules de bêtes. Et sur quels principes ?
- La patiente : Aucun. C’est un regard instantané. Une sorte de flash. Du coup je vois pas mal d’animaux dehors.
- Dr Machin : Des singes et des porcs.
- La patiente : Ne ramenez pas le Coran dans nos discussions ! Je choisis mes thèmes, arrêtez vos associations d’idées, écouter plutôt les miennes.
- Dr Machin : Vous parliez de votre prophétie.
- La patiente : Non, seulement d’une sensibilité accrue et d’hyperesthésie; c’est vous le fanatique dans l’histoire !
- Dr Machin : Je suis médecin, moi, aliéniste.
- La patiente : Vos mots rares et précieux ne m’impressionnent guère. Arrêtez de tout ramener au thème de la religion, je vais finir par croire que vous êtes dépassé par un dogmatisme.
- Dr Machin : Décrivez donc vos visions fantaisistes, l’esthète déchue !
- La patiente : La forme du visage, les expressions du regard (beaucoup) le nez, les sourcils, la qualité de la peau (les pores dilatés, la nature de la pilosité, et même le pH, je sais que c’est difficile à croire mais je sens quand une personne est acide ou non, c’est lié à son taux de sécrétions séborrhéiques
plus qu’à son alimentation, mais les deux peuvent être liés, bref).
- Dr Machin : Traits du visage, texture, odeur, goût. Rien que ça, l’alchimiste. Êtes-vous influencée par l’habillement ?
- La patiente : [longue réflexion] Très peu. C’est plus une fixation immédiate sur la physionomie : l’imago de l’animal me saute aux yeux sans crier gare. Le reste peut venir corroborer mon intuition ou la réfuter. Mais en général, je ne me trompe pas sur les archétypes, c’est ma spécialité.
- Dr Machin : Et ces animaux, ils font des bruits ?
- La patiente : Dans un second temps, si je n’arrête pas le mouvement et les sons, c’est une véritable basse-cour qui se construit, et plus rarement une savane africaine ou une jungle amazonienne. Saviez-vous que le plus petit chat du monde se trouve en Inde ? Et le plus petit chien au Mexique.
- Vous regardez trop la télé…
- La patiente : Je n’ai pas de téléviseur. Il faut mériter mon attention.
- Dr Machin : Et quel animal suis-je ?
- La patiente : Un renard assoiffé de thunes.
- Dr Machin : Bien, il va falloir démultiplier les séances.