- Le psychanalyste : que faites-vous ?
- La patiente : j’essaie d’arrêter le mouvement de ma pensée.
- Que faites-vous pour y parvenir ?
- Eh bien, je discute avec Jankélévitch.
- Vladimir ne va pas vous aider, il saute sans arrêt d’une pensée à l’autre. Son fil ne tarit pas.
- Justement, c’est ce dynamisme dont j’ai besoin. Il frôle le point zéro (il le vise du moins).
- Mais il ne l’atteint pas.
- Personne ne l’atteint. Et surtout pas les sadhus ni les soufis.
- Ne mélangez pas les genres. Nous sommes sur le mouvement lithuanien.
- Excusez-moi, mais Vlad est un Russe, pas un Litvak. Vous me précédez en voulant parler de l’autre…
- Alors évitons. C’est vous qui avez cité son nom.
- Pas encore.
- Très bien. Revenons-en au sujet : que faites-vous ?
- Je dialogue avec Vlad. Je m’en nourris, je m’en sers. Je le creuse.
- Que lisez-vous actuellement ?
- L’Ironie. Car j’ai besoin d’apprendre – ou plutôt de comprendre ce que « déjà » je fais. Il y a compromission si l’acte reste inexpliqué. Je crois que j’ai besoin de le déchiffrer.
- Vladimir ou l’ironie.
- Les deux, il va sans dire. D’autres questions ?
- « ….L’ironie leur apprendrait d’abord à ne pas figurer dans chaque signe intégralement, à ménager davantage leurs ressources. L’hyperesthésie a quelque chose d’épuisant et entretient notre âme dans un état de frénétique et douloureuse tension » [p.32].
- Le problème est qu’il fait tout le contraire de ce qu’il écrit; exactement comme moi – ou moi comme lui – bref c’est pareil.
- Alors pourquoi le prendre en exemple ?
- Je ne cherche pas à lui ressembler. Je cherche à le déposséder.
- Vous êtes une sangsue.
- Oui, parfaitement (hésitation).
- Un parasite.
- C’est une évidence.
- Votre faim me fait un peu pitié.
- Oui, j’ai toujours eu pitié de moi-même, moi-aussi (le ton, pédant, précieux, se voudrait élégant).
- Moi, moi, moi… je.
- Mais je vous paie pour parler de moi ! Je vous paie pour dégueuler (la voix baisse).
- Vomir, on dit, s’il vous plaît, veuillez rester correcte. Je ne suis pas freudien.
- Bon. Je vous donne de l’argent afin d’adorer ce moi. Parler de soi, nous ne savons pas bien agir autrement, et puis Montaigne me donne raison.
- Vous avez l’audace de cette comparaison.
- Je dis simplement qu’il m’a précédé dans ce travail. Nombril etc.
- Écoutez, encore une fois, vous mélangez les genres. La philosophie de l’ego, hum, très peu pour moi.
- C’est vrai, assez répugnant. En même temps c’est l’aveu d’une impuissance, il se moquait de son humilité, il l’a savait vaine, surjouée, ostentatoire.
- Alors si les humbles ne sont pas humbles, si les justes ne sont pas justes, que nous reste-t-il ?
- (Silence)
- (Silence gêné)
- On parlait de ce livre, L’Ironie; revenons-en à nos moutons.
- C’était un peuple errant, composé principalement de bergers, en effet, je ne vous apprends rien.
- En aval, le père était en exil. En quittant Ur, il a été le premier immigré de l’histoire de l’humanité.
- C’est apparement ce que dit l’histoire ou les historiographes apologétiques.
- Il faut bien croire quelqu’un !
- Bref, c’était le premier migrant, jamais ne s’arrête le mouvement (redondance, NDLT) il faut marcher. Le désert n’a pas de prise.
- Jankélévitch m’exaspère. Le mec est là, avec son bâton de pérégrin, il offre des directions mais passe son temps à se perdre en digressions. Un aveugle qui guide d’autres aveugles.
- Votre clairvoyance superfétatoire ne vous épuise pas, elle ?
- Si, mais j’y trouve de la poésie. J’ai toujours apprécié cette vraie fausse « modestie ». J’ai besoin de nous sauver (des apparences).
- La séance est terminée. Votre fric et décamper.
- Oui maître.
- Bouffonne va (marmonne dans sa barbe).
- Je vous prie de m’excuser ?
- Non, je disais : à la semaine prochaine.